La Dre Tracie O. Afifi a passé une grande partie de sa carrière à faire des découvertes réellement effroyables.
Pendant des années, cette chercheuse chevronnée en santé mentale a examiné les données et les rapports liés à la maltraitance des enfants, étudiant des cas troublants et violents d’abus physique, sexuel et psychologique ainsi que de négligence envers les enfants.
Ses recherches ont révélé à plusieurs reprises que l’incidence de la maltraitance pendant l’enfance ne disparaît pas une fois que les personnes touchées atteignent l’âge adulte, mais elle se traduit plutôt par des troubles de santé mentale à toutes les étapes de la vie.
Bien qu’elle ait apporté de nombreuses contributions importantes dans le domaine de la santé mentale et qu’elle continue d’influer sur les politiques et d’orienter les protocoles nationaux de santé publique par son travail, la Dre Afifi reconnaît qu’il peut être difficile (et parfois décourageant) de mener des recherches visant à comprendre l’ampleur du problème de la maltraitance et de ses effets sur la santé mentale des enfants.
« C’est un domaine de recherche difficile – on apprend toutes ces choses terribles que les enfants ne devraient jamais avoir à vivre », dit-elle.
« Mais ce qui me motive vraiment, c’est la résilience des enfants – et le fait de savoir que mes recherches pourraient aider un, deux, ou plusieurs enfants à ne pas subir de violence. »
C’est cette résilience qui est l’élément moteur du dernier projet de recherche de la Dre Afifi, une étude davantage orientée sur l’espoir.
Professeure agrégée à l’Université du Manitoba et chercheuse scientifique au Children’s Hospital Research Institute of Manitoba (l’Institut de recherche de l’Hôpital pour enfants), la Dre Afifi est la lauréate de 2018 du prestigieux Prix Royal-Mach-Gaensslen pour la recherche en santé mentale. Elle a l’intention d’utiliser sa bourse de 100 000 $ afin de découvrir de nouvelles stratégies novatrices pour prévenir la violence envers les enfants et élaborer des interventions en santé mentale. br>
Pour ce faire, la Dre Afifi et son équipe de recherche travaillent en vue d’établir une cohorte d’adolescents dans le but de comprendre quels facteurs dans la vie d’une personne pourraient la rendre plus résiliente.
En étudiant les personnes de la cohorte qui ont été victimes de mauvais traitements pendant leur enfance, mais qui n’ont pas souffert de troubles de santé mentale ou d’autres problèmes par la suite, la Dre Afifi espère élaborer des programmes et formuler des recommandations fondées sur des données probantes auprès des responsables des politiques, des organismes communautaires et des professionnels de la santé. Ainsi, le but de ce projet est d’améliorer la santé mentale des personnes qui ont vécu un traumatisme.
« Nous voulons, bien sûr, prévenir la maltraitance des enfants en premier lieu, mais nous voulons aussi apprendre comment mieux intervenir – donc pour ceux qui ont malheureusement été victimes de mauvais traitements, comment pouvons-nous réduire la probabilité que cette expérience mène à un trouble de santé mentale? »
Il s’agira de la première cohorte au monde axée sur l’adversité et la santé mentale. Les chercheurs recueilleront des données auprès d’adolescents de 14 à 17 ans, ainsi qu’auprès d’un de leurs parents (1 000 adolescents jumelés à 1 000 parents).
« Nous essayons d’apprendre ce qui, dans leur vie, a contribué à leur résilience, que ce soit au niveau individuel, au sein de leur famille, à l’école ou dans la communauté. Nous voulons savoir quels facteurs contribuent à une meilleure santé mentale chez ces personnes », ajoute-t-elle.
En établissant un lien entre les données de l’enquête et les données administratives du Manitoba Centre for Health Policy sur les résultats en matière d’éducation, de services sociaux, de logement, de santé et de justice, la Dre Afifi espère mieux comprendre les raisons pour lesquelles un certain nombre d’enfants victimes de mauvais traitements développent une résilience qui les protège contre les problèmes de santé mentale.
Étant donné que les répercussions et le traumatisme découlant des mauvais traitements infligés aux enfants peuvent avoir un effet sur la santé mentale d’une personne tout au long de sa vie, la Dre Afifi a une vision à long terme pour cette cohorte : elle prévoit retourner voir les participants tous les deux ans et les interroger de nouveau, en continuant de les suivre afin d’évaluer et de comprendre leurs expériences, leur santé et leur bien-être, ainsi que peaufiner des stratégies d’intervention.
C’est pour cela que le Prix Royal-Mach-Gaensslen pour la recherche en santé mentale aura une véritable incidence sur son parcours de recherche – et sur la vie des personnes dans tout le Canada qui ont subi de mauvais traitements pendant leur enfance.
« Si nous pouvons utiliser ce financement pour rester en contact avec ces personnes le plus longtemps possible et comprendre leurs stratégies de résilience à long terme, alors nous pourrons améliorer les interventions et les résultats pour ceux qui vivent actuellement avec des troubles de santé mentale », explique-t-elle.
Le Prix Royal-Mach-Gaensslen pour la recherche en santé mentale a été établi en 2015 afin de reconnaître les chercheurs en début de carrière spécialisés dans le domaine de la santé mentale et de les encourager à poursuivre leurs recherches au Canada.
Ce prestigieux prix national, décerné conjointement par la Fondation Mach-Gaensslen du Canada et l’Institut de recherche en santé mentale (IRSM) du Royal, qui est affilié à l’Université d’Ottawa, reconnaît l’excellence en recherche clinique, l’innovation, la collaboration, l’imagination et l’originalité – autant de qualités que l’on retrouve chez la lauréate de cette année, selon le Dr Zul Merali, président et chef de la direction de l’IRSM.
« Le prix récompense des chercheurs prometteurs qui abordent la santé mentale de manières novatrices », dit le Dr Merali.
« Le dévouement de la Dre Afifi à l’égard de la prévention de la maltraitance des enfants et de la recherche de nouvelles façons d’intervenir et d’améliorer la santé mentale fait d’elle une experte de premier plan dans son domaine et, par surcroît, ses recherches contribuent réellement à améliorer des vies. » - le Dr Zul Merali, président et chef de la direction de l’IRSM
Bien que les recherches en cours de la Dre Afifi promettent d’améliorer la vie des personnes atteintes de troubles mentaux, elle espère également qu’elles continueront d’éclairer les changements législatifs et politiques au Canada qui pourraient prévenir les mauvais traitements infligés aux enfants.
Elle s’est servie de ses recherches sur la fessée et sa corrélation avec les troubles de santé mentale plus tard dans la vie, par exemple, pour réclamer publiquement des changements à l’article 43 du Code criminel du Canada, qui permet toujours les châtiments corporels comme la fessée pour discipliner les enfants – une loi qui a déjà été abolie dans 54 autres pays.
Étant donné que l’accès et la disponibilité des services de santé mentale demeurent un obstacle constant au Canada, la Dre Afifi croit que la prévention de la maltraitance des enfants est la clé de l’amélioration de la santé mentale de notre population.
« Si nous pouvons réellement prévenir la violence et la négligence envers les enfants, nous serons en mesure d'éviter que tant de gens souffrent de problèmes de santé mentale tout au long de leur vie », affirme-t-elle.
« Lorsqu’on sauve un enfant de la maltraitance, on change toute sa trajectoire – on peut vraiment transformer sa vie entière. »