Une ordonnance pour y voir plus clair

Clarifier la terminologie et éliminer la stigmatisation : ce sont certains des objectifs d’une initiative visant à changer notre façon de désigner les médicaments utilisés en psychiatrie. Ainsi, une campagne est actuellement en cours pour désigner les médicaments par leur action pharmacologique, c’est-à-dire par ce qu'ils font réellement dans le cerveau, plutôt que par des termes généraux en fonction de la maladie mentale qu’ils sont censés traiter.

Le fait de désigner un médicament selon son mécanisme d’action dans l’organisme apporte plus de clarté aux cliniciens, réduit la stigmatisation et, espérons-le, améliorera les résultats pour les patients.

Le Dr Pierre Blier, qui est directeur de l’Unité de recherche sur les troubles de l’humeur à l’Institut de recherche en santé mentale du Royal, est membre du groupe de travail international chargé de modifier le système de nomenclature des médicaments d’ordonnance. Il est aussi l’un des principaux auteurs d’un guide de référence intitulé NbN: Neuroscience-based Nomenclature (« NbN : La nomenclature basée sur la neuroscience »), dont la deuxième édition a été publiée et qui est aussi disponible en version électronique, sous forme d’application gratuite. (Cette base de données renferme actuellement 140 noms de médicaments, et elle est mise à jour tous les six mois.)

Le Dr Blier souligne qu’une partie du défi de nommer les médicaments est qu’ils traitent souvent plusieurs problèmes de santé et qu’un même médicament peut agir dans l’organisme de différentes façons, selon sa posologie. Prenons l’exemple de l’aspirine. On peut en prendre deux comprimés de 500 mg pour un mal de tête ou une douleur modérée, mais elle est également prescrite pour prévenir les caillots sanguins ou les crises cardiaques et, dans ce cas, la dose est très différente. Les personnes qui prennent de l’aspirine pour la coagulation sanguine ont généralement une dose de 81 mg, soit une aspirine pour bébé.

« Donc, faut-il classer l’aspirine comme anticoagulant ou comme analgésique? », demande le Dr Blier. « Cela dépend en partie de la quantité que vous prenez ».

Avant la mise en œuvre de cette nouvelle nomenclature, les cliniciens se retrouvaient à prescrire des antidépresseurs à une personne anxieuse ou des antipsychotiques à une personne atteinte de dépression.

Imaginez que vous êtes assis dans un cabinet de médecin pour parler de votre dépression. Quel effet cela vous ferait-il de recevoir une ordonnance d’antipsychotique? Il est plus clair – et sans doute plus positif pour le patient – de prescrire un inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine.

« Nous prescrivons des antidépresseurs aux personnes qui souffrent d’un trouble anxieux, notamment les crises de panique – et ces gens ne sont pas déprimés. De plus, nous donnons  maintenant des antipsychotiques atypiques aux personnes qui sont atteintes de dépression et non de psychose » , explique le Dr Blier. « C’est déroutant pour les patients et, en fait, nous n’employons pas la bonne nomenclature, surtout en ce qui concerne les antipsychotiques », ajoute-t-il en donnant l’exemple d’Abilify, un médicament utilisé pour traiter la psychose. « Pour traiter une psychose, il faut en administrer 20 à 30 mg par jour. Lorsqu’on traite une dépression, il faut en donner 2 à 5 mg. Cela ne concerne pas les mêmes récepteurs. »

La publication du nouveau système de nomenclature aide les cliniciens à utiliser le nom adéquat et à faire des choix éclairés lorsqu’ils prescrivent des médicaments. Chaque entrée comprend des renseignements sur les effets secondaires et les interactions médicamenteuses les plus probables, la posologie recommandée, ainsi que les indications approuvées, c’est-à-dire, si un médicament est approuvé pour traiter une maladie particulière.

La première édition imprimée de la nouvelle nomenclature (qui date de 2014) a été approuvée par des collèges internationaux de neuropsychopharmacologie ainsi que des revues scientifiques de pointe, mais n’a pas reçu l’approbation de l’American Psychiatric Association (APA) avant juillet 2019. L’APA encourage activement l’inclusion de la terminologie NbN dans la documentation scientifique et technique, ainsi que dans les articles publiés dans les revues de l’APA.

L’APA recommande également de procéder à des essais pilotes « afin de déterminer si le système de nomenclature NbN améliore la communication entre patients et médecins, la satisfaction des patients, l’observance du traitement ou les paramètres liés à la qualité des soins ».

Le Dr Blier affirme qu’il est important de répondre à la question de l’observance du traitement et convient qu’il est nécessaire d’effectuer une étude plus approfondie sur ce sujet.

« Cela reste à prouver (l’observance), mais on peut imaginer qu’une personne déprimée qui rentre chez elle avec un médicament antipsychotique ne sera pas très tentée de suivre son traitement », remarque-t-il.

En ce qui concerne les prochaines étapes, les membres du groupe de travail sont en train de diffuser la nouvelle de l’approbation de l’APA dans leurs pays respectifs, et une traduction française de la nomenclature est également en cours.

L’espoir, bien sûr, est que ce nouveau système de nomenclature se répandra avec un effet de contagion – dans les conférences médicales, les associations médicales et les revues médicales, ainsi qu’auprès des psychiatres, des médecins de famille, des cliniciens et, éventuellement, de tous ceux qui travaillent en santé mentale.

« Nous faisons de réels progrès dans ce domaine », dit le Dr Blier. « C’est tout un processus. »

Pour plus d’informations, consultez le site : nbn2r.com.