Si nous ne les traitons pas, qui le fera?

Un tribunal de l’Ontario a acquitté le Royal de quatre des cinq chefs d’accusation portés contre l’organisme après qu’une patiente a poignardé un membre du personnel infirmier. Toutefois, le Royal a reçu une amende de 75 000 $ pour le cinquième chef d’accusation. Le Dr A. G. Ahmed, le psychiatre légal qui a traité Marlene Carter, réagit à ce sujet.

« Que faut-il faire des gens qui posent un risque pour les autres en raison de leur maladie? Faut-il les enfermer pour toujours ou les traiter? Ce sont les seules options que propose notre société.  »

Elle se cogne la tête contre le ciment jusqu’à ce qu’elle voit du sang. Vlan! Vlan! Vlan!

Elle croit que si elle ne voit pas de sang, ses enfants seront en danger.

Elle considère que toute personne qui tente de l’empêcher de se frapper la tête fait du mal à ses enfants. Donc, quand une infirmière bien intentionnée a voulu intervenir, la patiente a réagi en l’attaquant.

« Elle protège ses enfants comme le ferait toute mère », explique le Dr A. G. Ahmed, chef adjoint du Programme de psychiatrie légale intégrée.

« Ce n’est pas une mauvaise personne. Elle est malade. »

Toutefois, dans un milieu correctionnel, on met l’accent sur la sécurité et on vise à éliminer tout comportement perçu comme une infraction délibérée, plutôt que de chercher à en comprendre les causes profondes psychopathologiques. Les philosophies qui régissent le milieu pénitentiaire et le milieu thérapeutique sont très différentes.

Ainsi, on applique souvent des contentions physiques aux détenus atteints d’une maladie mentale grave et complexe. On les place en isolement et ils s’enfoncent encore plus profondément dans le gouffre de leur maladie.

C’est le triste sort de Marlene Carter. Au pénitentiaire, avant de venir au Royal, Mme Carter a passé deux ans et demi sous contention. Ses muscles se sont atrophiés. Elle était détenue en isolement. Sa maladie mentale grave et complexe, aggravée par une lésion cérébrale, est devenue d’autant plus problématique.

Elle a été transférée au Royal pour y recevoir des soins. Les médecins ont réussi à stabiliser son état, mais elle se retrouve maintenant au pénitencier.

Marlene

L’histoire déchirante de Marlene Carter a été amplement documentée dans le dossier du tribunal et dans les médias. C’est une longue histoire de mauvais traitements et d’abus, de traumatismes intergénérationnels, de maladie mentale, de toxicomanie, de tentatives de suicide, et Mme Carter n’a jamais reçu les soins dont elle avait tant besoin.

À l’été 2014, Mme Carter a été transférée d’un établissement correctionnel de Saskatoon au site de Brockville du Royal. Elle avait de très graves problèmes de santé mentale.

Le 10 octobre 2014, dans un état de psychose, Mme Carter a gravement blessé une infirmière en la poignardant à plusieurs reprises à l’aide d’un stylo. Heureusement, l’infirmière s’est rétablie, elle a pu retourner au travail et a récemment pris sa retraite.

Les comportements de Mme Carter, y compris son agressivité et son impulsivité, font partie des raisons pour lesquelles elle a besoin de recevoir un traitement en milieu fermé, dans un centre spécialisé en soins de santé mentale. Lorsque cet incident s’est produit, Mme Carter était encore en cours d’évaluation et de stabilisation avant de commencer à recevoir un traitement pour sa maladie extrêmement complexe.

Comme le Royal ne possède pas d’unité réservée aux femmes détenues, sa capacité à traiter Mme Carter était très limitée. Le financement reçu pour créer un programme-pilote de deux lits seulement n’a pas été suffisant pour adapter l’environnement et mettre en place l’équipe interdisciplinaire dont a besoin une personne qui a des besoins si complexes.

Pourtant, l’état de cette patiente s’améliorait.

En avril 2016, Mme Carter est retournée dans un établissement pénitentiaire en Saskatchewan, et elle s’est donc à nouveau retrouvée dans un milieu correctionnel plutôt que thérapeutique.

« Notre société ne s’acquitte pas de ses obligations envers les personnes qui sont atteintes de maladie mentale, surtout les femmes, quand elle les enferme plutôt que de leur fournir les soins dont elles ont besoin. »

« En tant que société, nous avons manqué à notre devoir envers Marlene », affirme le Dr Ahmed, le psychiatre de Mme Carter.

« Nous l’avons renvoyée dans l’environnement d’où elle est venue. Tout le bien que nous avons fait ici, tous les espoirs que nous avions pour son rétablissement, sont perdus. »

« Il y en a beaucoup d’autres comme Marlene Carter. »

À la suite de l’agression par Mme Carter d’une des infirmières du Royal, le Ministère du travail a intenté des poursuites contre notre organisme. Le Royal a été acquitté de quatre des cinq chefs d’accusation portés contre lui. Le seul chef d’accusation retenu, le manquement à l’obligation de réévaluer les risques de violence au travail, a donné lieu à une amende de 75 000 $.

Le juge a reconnu que le Royal disposait de programmes de formation et de procédures d’évaluation des risques d’excellente qualité, mais qu’un membre estimé de notre personnel a néanmoins été gravement blessé à la suite d’un incident violent.

« On ne peut pas comparer les soins de santé aux autres secteurs », explique le Dr Ahmed. « Nous nous efforçons toujours de gérer les risques, surtout avec les clients qui présentent des risques élevés et qui ont des besoins importants comme Marlene, mais nous prenons toujours un certain risque en les soignant. »

Affirmer qu’il ne devrait y avoir aucun risque dans un milieu de soins de santé revient à dire qu’il ne devrait y avoir aucun endroit pour soigner les gens comme Marlene Carter, ajoute-t-il. Il y aura toujours un certain degré de risque. Notre personnel dévoué s’efforce chaque jour d’atténuer ces risques, mais ils existent néanmoins.

« Il y en a beaucoup d’autres comme Marlene Carter », déclare le Dr Ahmed. « Notre société ne s’acquitte pas de ses obligations envers les personnes qui sont atteintes de maladie mentale, surtout les femmes, quand elle les enferme plutôt que de leur fournir les soins dont elles ont besoin. »

Les femmes dans le système correctionnel

Des experts estiment qu’environ un tiers des femmes détenues sont atteintes d’une maladie mentale complexe et que plus des deux tiers d’entre elles ont également des problèmes de toxicomanie. La plupart d’entre elles ont vécu un traumatisme.

« Comment pouvons-nous prendre en charge ces problèmes complexes dans un milieu correctionnel? », s’interroge le Dr Ahmed.

Les professionnels qui traitent la maladie mentale savent que c’est la régularité qui mène aux progrès, et que ces femmes ont le plus souvent une vie caractérisée par l’irrégularité et la méfiance.

Selon l’analyse coûts-avantages effectuée par le Royal pour créer l’unité de traitement en milieu fermé destinée aux femmes, chaque dollar investi permettrait d’économiser au moins trois dollars de l’argent des contribuables afin de les allouer à d’autres ressources, notamment les services correctionnels et policiers.

De nombreux experts en sécurité publique et en soins de santé appuient cette analyse, dont Howard Sapers, un conseiller indépendant auprès du gouvernement de l’Ontario pour la réforme des services correctionnels.

« Le système de justice pénale n’est certainement pas la réponse à la maladie mentale. Il n’y a pas de solution plus coûteuse », a déclaré M. Sapers à la CBC.

Quel est l’un des principaux obstacles qui empêchent de fournir des soins de santé mentale aux personnes qui en ont le plus besoin? Le risque.

« Que faut-il faire des gens qui posent un risque pour les autres en raison de leur maladie? », s’interroge le Dr Ahmed. « Faut-il les enfermer pour toujours ou les traiter? Ce sont les seules options que propose notre société. Pour ma part, je crois que chaque être humain qui a une maladie mentale mérite de recevoir un traitement. »