En cette belle journée ensoleillée d’automne au Royal, un petit groupe est rassemblé autour d’une table de pique-nique sur le terrain de l’hôpital. Vu de loin, il pourrait paraître surprenant puisqu’il est composé de personnes de tous les horizons et de tous les âges. Le groupe se disperse soudainement et chacun se met au travail : certains s’occupent de décharger un charriot, tandis que d’autres installent un chevalet de sciage.
Jean-Michel Frechette, un intervenant en santé mentale au Royal, pose une épaisse planche de bois de 10 pieds sur deux trépieds robustes. Les autres membres du groupe saisissent les blocs de ponçage et commencent à travailler la surface de la planche. Il s’agit en fait de la partie supérieure d’un banc de gymnase, le type de banc sur lequel attendent des joueurs de basket-ball avant de relayer leurs co-équipiers. Après des années d’utilisation intensive, ce banc se trouve en très mauvais état : le bois a été éclaboussé de peinture, entaillé et frappé, sans compter toutes ces gommes à mâcher qui ont été collées en-dessous. Il a vraiment besoin d’un peu d’huile de coude, et c’est justement pour cette raison que le groupe se retrouve pendant deux heures chaque semaine.
Ce nouveau groupe de récréothérapie est composé de clients du Programme de psychiatrie légale intégrée pour patients externes et du Programme de réadaptation qui sont sur le point de terminer leur traitement et d’obtenir leur congé. Ils travaillent actuellement à remettre en état les bancs de gymnase du Royal.
C’est Ashleigh McGuinty, une récréologue du Royal, qui avait remarqué que les bancs avaient besoin d’être restaurés. Elle se souvient que M. Frechette, son collègue, avait toujours voulu faire des activités pratiques avec les clients. Ils ont donc recueilli de l’équipement de base – surtout du matériel prêté par d’autres membres du personnel – et ont demandé aux clients s’ils étaient intéressés par la restauration de mobilier en bois. Et c’est ainsi que le projet a commencé.
Chaque banc est soigneusement démonté, nettoyé et sablé avec des ponceuses électriques et à la main. Une fois poncés, les bancs reçoivent trois ou quatre couches de vernis avant d’être remontés et ramenés au gymnase, où ils servent à la fois aux clients et aux membres du personnel.
Le travail se fait à l’extérieur, directement derrière le bâtiment principal.
Toutefois, les clients ne font pas que travailler, ils plaisantent aussi, tout en apprenant, et cela se passe dans une atmosphère détendue. C’est le genre d’activité qui peut absorber une personne lorsqu’elle se concentre sur son travail, mais c’est aussi un moment très social.
« Les gars adorent ça », dit Mme McGuinty. « Ils se débrouillent très bien, et on ne fait que les guider un peu. »
Mme McGuinty et M. Frechette soulignent que ce groupe appartient clairement à la catégorie des activités « récréatives » du Royal et ne fait pas partie d’une formation professionnelle. Ils espèrent qu’une approche décontractée suscitera de l’intérêt pour la restauration du bois, un passe-temps que les clients n’avaient peut-être pas envisagé auparavant.
De plus, ils aimeraient beaucoup voir les clients poursuivre ce genre de projets pratiques lorsqu’ils réintègreront la collectivité.
« Nous essayons de ne pas trop leur mettre de pression », ajoute M. Frechette. « Quand nous sommes enfants, nous essayons d’élargir nos intérêts, de découvrir de nouvelles choses, tout cela est une forme de loisir. La plupart de nos clients n’ont pas eu la chance d’être exposés à ce genre d’activités dans leur jeunesse. Nous pensons qu’en les exposant à ce type de choses, ils pourraient découvrir les loisirs qui les intéressent. »
Mme McGuinty et M. Frechette souhaiteraient tous deux voir ce groupe s’élargir, non seulement en taille mais aussi en envergure. Ils s’adressent actuellement à des groupes communautaires de travail du bois pour voir si ceux-ci pourraient leur offrir des possibilités, que ce soit pour utiliser un local pendant l’hiver ou pour établir une collaboration plus étroite.
« Nous avons aussi quelques idées pour garder le groupe ici, et peut-être aussi faire d’autres activités à l’hôpital », ajoute Mme McGuinty. « Il y a tellement de possibilités, c’est très excitant. »
Une autre idée serait d’établir un jour un lien avec le programme de formation professionnelle, mais à l’heure actuelle, les responsables visent à ce que le groupe demeure une activité amusante et qui permet aussi d’acquérir des compétences qui vont au-delà du ponçage et du vernissage. Mme McGuinty indique que l’un des principaux avantages de cette activité est de permettre aux clients d’améliorer leur concentration.
« Beaucoup de nos gars – avec leurs médicaments et leur maladie mentale – n’ont plus la concentration qu’ils avaient auparavant », explique Mme McGuinty. « Vous savez, quand vous êtes anxieux ou déprimé, ou quelque chose comme ça, et que vous n’arrivez plus à vous concentrer pendant une longue période de temps? Alors cette activité, ça les aide. »
« Le simple fait d’apprendre des compétences et d’accomplir quelque chose du début à la fin est très bénéfique », ajoute M. Frechette. « Et s’ils veulent passer au niveau suivant un jour, ils le peuvent. »
Le fait de voir des photos avant et après de ces bancs brillants qui ont été restaurés par le groupe nous rappelle que la fierté qui accompagne un projet achevé est universelle; c’est quelque chose que nous partageons tous.
« L’un des principaux objectifs de nos gars est de contribuer à leur tour à la société, et c’est aussi un objectif qui nous permet à tous de rester en bonne santé mentale », confie Mme McGuinty. « Donner de son temps fait du bien. Et nous essayons de leur apprendre cela tout au long du processus. »
Le projet n’en est qu’à ses débuts, et il n’existe aucun sondage sur la satisfaction des clients pour déterminer leur intérêt à l’égard de la mise en place d’un groupe permanent de restauration du bois. En réalité, il est parfois difficile d’obtenir une rétroaction claire des clients malades.
« Ils ont parfois de la difficulté à exprimer ce qu’ils ressentent, même ce sentiment d’accomplissement », explique Mme McGuinty, qui a sa propre façon de savoir si une activité remporte du succès auprès des clients.
Si les clients se présentent aux séances de façon régulière et arrivent à se concentrer pendant les séances sans demander de pause et sont surpris quand la séance est terminée, c’est que l’activité est réussie. Après tout, le temps passe vite quand on s’amuse!
« Sans compter le fait qu’ils ne sont pas obligés d’y assister et qu’ils reviennent et y restent pendant deux heures », ajoute M. Frechette. « C’est un groupe ouvert, sans obligation, et ils s’y présentent. Ça en dit long sur nos clients. »
Mise à jour de février 2020
Ashleigh McGuinty et ses collègues Sara Richardson-Brown et Jean-Michel Frechette ont récemment appris une grande nouvelle. L’atelier Good Day, une entreprise sociale gérée par les Bergers de l’Espoir, fait don au Royal d’outils et d’équipements de menuiserie d’une valeur de 30 000 $. Il s’agit d’articles que l’on trouve généralement dans un atelier de menuiserie, y compris des scies circulaires, des scies à ruban, des capteurs de poussière ainsi qu’un assortiment d’outils à main.
C’est donc à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. L’atelier Good Day, qui se tenait au Centre Bronson, a fermé ses portes de manière définitive. Ce programme offrait des formations et des emplois dans le domaine de la réparation et de la restauration de mobilier à des personnes confrontées à des problèmes de toxicomanie, d’itinérance, ou de santé physique ou mentale.
Caroline Cox, directrice des services communautaires et bénévoles des Bergers de l’Espoir, explique que l’organisme a pris la décision de fermer l’atelier Good Day dans le cadre de son processus de planification stratégique.
« Ce programme a aidé de nombreux participants au fil des ans. Toutefois, il est important de concentrer nos ressources là où nous constatons les plus grands besoins dans la communauté, et en ce moment, il y a un manque criant de logements abordables à Ottawa », dit Mme Cox. « Nous nous concentrons sur les programmes plus innovants de logements supervisés, de refuges et de soutien communautaire pour les personnes atteintes de problèmes complexes de traumatismes, de santé mentale et de dépendance. Nous sommes ravis que le Royal Ottawa puisse bénéficier de notre don d’outils; il a été un précieux partenaire de l’atelier au fil des ans. »
Mme McGuinty reconnaît qu’il s’agit d’une perte pour les Bergers de l’Espoir, mais elle considère que ce don permettra au Royal de prendre le relais. « C’est un don très significatif pour le Royal », affirme-t-elle. « Les clients des unités d’hospitalisation et des services ambulatoires peuvent s’appuyer sur des compétences différentes. En fin de compte, si quelqu’un montre de l’intérêt et du potentiel, nous pouvons aider cette personne à trouver un emploi ou la mettre en relation avec une entreprise. »
Le groupe de restauration du bois du Royal était à l’origine limité aux clients du Programme de psychiatrie légale intégrée pour patients externes et du Programme de réadaptation, mais il va maintenant se transformer en programme de récréothérapie centralisé, ce qui signifie que les clients de toutes les unités pourront y participer.
L’objectif de Mme McGuinty est de trouver des fonds de donateurs pour construire un atelier de menuiserie pleinement opérationnel au Royal et d’inviter les partenaires communautaires à venir l’utiliser.
« Cela va ouvrir tout un monde de possibilités. »