Et si la dépression n’était pas seulement un trouble de l’humeur? Et si elle prenait racine dans quelque chose de très fondamental – un trouble de la vitesse dans le cerveau, traitable par des approches novatrices telles qu’une prescription musicale personnalisée?
Dans un éditorial publié dans le Journal of Psychiatry & Neuroscience, le Dr Georg Northoff, professeur à l’Université d’Ottawa et chercheur principal au Royal, remet en question les idées reçues sur la dépression.
![Faut-il redéfinir la dépression comme un trouble de la vitesse du cerveau? La recherche ouvre de nouvelles pistes de traitement. Dr Georg Northoff, professeur à l’Université d’Ottawa et chercheur principal au Royal](/sites/default/files/styles/60_/public/images/2025-02/Dr.Northoff_Jan2025_0.jpg?itok=HlAp4mwR)
Les recherches du Dr Northoff dans le domaine de la « psychiatrie spatio-temporelle », une discipline unique qu’il a mise au point, sont prometteuses pour améliorer la vie des personnes qui luttent contre l’un des troubles mentaux les plus courants, la dépression.
Plusieurs observations réalisées au fil des ans ont amené le Dr Northoff à émettre l'hypothèse que le problème central de la dépression pourrait être un dérèglement des processus temporels et dynamiques sous-jacents du cerveau. En d’autres termes, il s’agit d’une question de vitesse.
Chez les personnes atteintes de dépression, les processus perceptifs, cognitifs, moteurs et émotionnels présentent tous une absence frappante de changement de rythme dans le temps. En revanche, le cerveau des personnes qui ne sont pas atteintes de dépression présente une interaction complexe de rythmes rapides et lents, avec de nombreuses fluctuations.
« Les personnes qui ont reçu un diagnostic de dépression déclarent souvent avoir des pensées léthargiques et être incapables de modifier le contenu de leurs pensées et d’arrêter leur rumination constante », explique le Dr Northoff. « Il en va de même pour les émotions. De nombreuses personnes connaissent des moments de tristesse, mais beaucoup d’entre elles peuvent passer de ces moments à des états d’humeur plus joyeuse. Un tel changement est plus difficile chez les personnes déprimées, qui peuvent rester bloquées dans un état de tristesse pendant de plus longues périodes. Enfin, la même observation s’applique aux mouvements. Les personnes atteintes de dépression peuvent présenter des mouvements faciaux ou autres plus lents. »
Pour étudier l’idée que la dépression serait un trouble de la vitesse, le Dr Northoff et son équipe de recherche utilisent des techniques avancées de neuro-imagerie et de calcul pour mesurer la vitesse du cerveau dans différentes régions et fonctions.
Dans le domaine de la santé mentale, les approches diagnostiques actuelles s’appuient largement sur des listes de contrôle des symptômes, ce qui peut s’avérer limitatif. Le Dr Northoff pense que le fait d’envisager la dépression autrement, à l’aide de mesures biologiques spécifiques, pourrait avoir de profondes incidences sur le diagnostic et le traitement de cette maladie.
Son équipe et lui ont mis au point divers « biomarqueurs de la vitesse » de l’activité cérébrale, qu’ils testent actuellement dans le cadre d’études à grande échelle pour leur spécificité diagnostique différentielle de la dépression.
En mettant au point des biomarqueurs fondés sur les signatures temporelles du cerveau, les cliniciens pourraient également être en mesure de distinguer plus précisément la dépression d’autres troubles mentaux, tels que la psychose.
« La dépression touche des millions de personnes dans le monde, mais notre compréhension de sa complexité continue d’évoluer », déclare la Dre Florence Dzierszinski, présidente de l’Institut de recherche en santé mentale (IRSM) de l’Université d’Ottawa au Royal et vice-présidente de la recherche. « Les recherches pionnières du Dr Northoff ouvrent la voie à des approches novatrices qui approfondissent notre compréhension et aident à combler le fossé entre la découverte scientifique et les soins prodigués avec compassion. La recherche fait réellement partie des soins. »Plus important encore, le fait de comprendre que la dépression est un trouble lié à la vitesse du cerveau ouvre de nouvelles voies pour la mise en œuvre d’interventions personnalisées. L’équipe du Dr Northoff étudie des techniques de « réglage temporel », telles que des listes de lecture personnalisées et des exercices de respiration adaptés aux rythmes cérébraux optimaux d’une personne afin de la ramener vers des schémas plus sains. Tout comme le traitement du diabète est guidé par une surveillance et un traitement précis de la glycémie, le Dr Northoff conçoit des thérapies de santé mentale personnalisées, qui sont fondées sur les signatures spatio-temporelles uniques du cerveau d’une personne.
Le Dr Northoff donne deux exemples concrets de techniques qui modifient le tempo d’un cerveau en décalage avec le rythme du monde qui l’entoure.
- La cliente A est atteinte d’une grave dépression. Le matin, elle a du mal à bouger. Pour l’aider à se mettre en route, elle écoute ses rythmes techno préférés. Après un examen plus approfondi, il s’avère que la musique lui donne un sentiment d’agressivité et de colère au lieu de la motiver suffisamment pour qu’elle puisse commencer sa journée. Le Dr Northoff utilise des mesures de la vitesse du cerveau de la cliente et de sa perception pour trouver une musique qui corresponde mieux à l’échelle de temps unique de son cerveau en état dépressif. Sa nouvelle liste de lecture la pousse à l’action, mais ne modifie pas son humeur de manière négative.
- La cliente B a beaucoup de succès dans son domaine, malgré une anxiété sociale invalidante. Elle n’a pas réussi à surmonter ses sentiments à l’égard de la prise de parole en public, ce qu’elle est amenée à faire dans le cadre de son travail. « Nous avons travaillé avec elle sur des protocoles de respiration personnalisés, en trouvant la fréquence de respiration lente optimale qui diminue et donc calme son anxiété. L’effet est immédiat après seulement quelques minutes de respiration lente individuelle », explique le Dr Northoff. Aujourd’hui, avant de donner une conférence, elle pratique son protocole de respiration lente pendant deux ou trois minutes.
« Lorsque vous donnez aux gens plus de contrôle, et lorsqu’ils savent qu’ils ont le contrôle, cela réduit encore plus l’anxiété ou la dépression », explique-t-il.
Grâce à leurs relations et collaborations internationales, le Dr Northoff et son groupe s’efforcent d’appliquer leurs recherches sur la vitesse dans la dépression à la pratique clinique. Par exemple, ils mènent actuellement une étude mondiale dans 33 centres cliniques visant à tester un questionnaire sur l’expérience de l’espace-temps pour le diagnostic différentiel de la dépression chez environ 2 000 patients. Leur approche représente un élément fondamental de la recherche sur la vitesse dans la dépression. En se concentrant sur la dynamique temporelle du cerveau, le Dr Northoff et son équipe développent une compréhension plus holistique de la relation entre l’esprit et le cerveau, ce qui pourrait transformer les soins de santé mentale, en les orientant vers un modèle qui permet de mieux adapter les traitements à la vitesse et au rythme préférés de chaque patient.